2021-2030 : le projet de loi de programmation de la recherche (LPR)
POUR UNE REFONDATION DE LA RECHERCHE ET DE L’UNIVERSITE
La raison d’être des scientifiques est de produire de nouvelles connaissances sur la base de procédés transparents et de résultats vérifiables et critiquables. La recherche se différencie ainsi de l’innovation qui ne vise qu’à améliorer ce qui existe déjà. Il ne peut y avoir d’innovation sans recherche, il ne peut y avoir de nouveauté sans ces femmes et ces hommes qui, de par le monde, s’appliquent ensemble à rendre connu ce qui est inconnu sans arrières pensées sur une utilisation future.
La recherche ne peut fonctionner correctement que sur la base de trois fondamentaux : (1) des moyens humains, c’est à dire des individus en nombre suffisant et rémunérés à la hauteur de leurs investissements pour pouvoir observer, tester, interpréter, inventer, vérifier, diffuser et ainsi étendre tous les champs de connaissance; (2) des moyens financiers appropriés et surtout disponibles dans la durée, pour assurer un fonctionnement décent et une visibilité à long terme nécessaires à toute recherche fondamentale de qualité ; (3) une liberté de recherche assurant à la fois une diversité des connaissances produites et un développement homogène de notre champ de connaissances, toutes les directions de recherche étant porteuses de perspectives fondamentales pour nos sociétés. Avec l’acceptation que la recherche, pour être excellente, nécessite du temps, parfois des errements.
De fait, une société qui assume l’ambition de développer une recherche scientifique de qualité doit comprendre ses objectifs, ses méthodes et ses apports, doit lui accorder le temps dont elle a besoin, doit en faire la promotion et doit, par-dessus tout, respecter les personnels (en poste ou précaires, de recherche comme d’appui) qui la font comme étant les artisans de notre compréhension du monde et les producteurs des seules données fiables permettant d’éduquer et de penser notre monde et son avenir.
Pourtant, un « autre chemin » a été emprunté ces dernières décennies : des moyens financiers en berne et/ou sur appels à projet, conduisant à une confiscation du temps normalement dédié à la recherche ; des politiques appliquant aveuglément à nos disciplines
des recettes qui privilégient la rentabilité plutôt que la qualité, reléguant la recherche à une production économique comme une autre ; des gouvernants qui, ayant généralement une faible culture scientifique, ont une tendance naturelle à accorder d’avantage d’importance aux questions économiques qu’aux enjeux de la recherche fondamentale. Discrédit, réduction des moyens humains et financiers, infrastructures déliquescentes, temps de recherche en berne et assujetti à toujours plus de contraintes administratives traduisant une réelle défiance et une réelle mécompréhension de ce que nous faisons, quantité de recherche plutôt que qualité de recherche sont autant de pavés qui trace cet « autre chemin ».
Cette idée de la recherche que l’on veut nous imposer parce que prétendument nécessaire dans notre monde actuel, accroit significativement la compétition entre et au sein des laboratoires. La diminution drastique des personnels ne permet plus d’assurer une recherche pérenne, les chercheurs étant aujourd’hui obligés d’effectuer régulièrement des refontes de leurs activités pour pallier au manque criant de collaborateurs. Le mode de fonctionnement actuel a d’ailleurs significativement accru le recrutement de personnels sur contrats courts, entraînant une très inefficace précarisation des individus contribuant à la recherche et donc une perte de suivi sur le long terme et de pérennité. À ceci s’ajoute un monde de la recherche qui n’est plus attractif : dans notre société, la connaissance n’est pas valorisée à la hauteur de ce qu’elle apporte et de plus en plus de personnes ne comprennent pas le fonctionnement de la recherche ; les salaires des chercheurs et des fonctions d’appui à la recherche en France sont parmi les plus bas de l’OCDE.
Comme pour nos collègues soignants, le temps dédié à notre véritable métier, la recherche, s’efface au profit du temps administratif et bureaucratique, notamment dans le cadre de la recherche de financements qui servent principalement à gérer la pénurie des
dotations d’état. De fait, la fin de la recherche libre au profit d’une recherche pilotée, courttermiste, possiblement innovante mais ni visionnaire ni audacieuse, avec le lent remplacement des objectifs scientifiques par des logiques économico-industrielles, représente un risque majeur.
La dégradation de nos conditions de travail depuis plusieurs années, la perte de considération pour le monde de la recherche et l’extrême focalisation gouvernementale sur le volet innovations et transferts technologiques vers l’industrie qui ne représente qu’une
partie mineure du rôle de la recherche, s’accentue aujourd’hui par le passage en force de la LPR sans concertation avec les acteurs de la recherche. Après avoir affronté plusieurs mois de mobilisation intense du secteur (268 labos mobilisés, 700 directeurs et directrices de laboratoires et des milliers de manifestant le 5 mars 2020) avant la crise de la Covid-19, le gouvernement fournit le texte de 220 pages le dimanche 7 juin aux élus des instances du personnel, pour une « discussion » les 12, 17 et 22 Juin, avant présentation en conseils des ministres le 8 juillet. Par ailleurs, une partie de la LPR sera appliquée par voie d’ordonnance.
Les problèmes rencontrés par les milieux hospitaliers n’ont trouvé écho – temporairement – dans notre société que lorsque nous avons dû faire face à la pandémie. Pourtant les conséquences de l’érosion de la biodiversité et du dérèglement climatique vont nous frapper plus durement et plus sûrement que l’épisode Covid-19. Il sera peut-être trop tard pour demander l’avis des scientifiques, si ceux-ci ont disparu de l’écosystème et qu’il ne reste que, comme dans la Hongrie voulue par Viktor Orbán, l’innovation et la technologie. L’épisode Covid-19 aurait pu nous enseigner que les prétendues “nécessités” économiques sont bien fragiles lorsqu’elles se confrontent au réel par le biais de phénomènes naturels, d’origine anthropique ou non. Notre gouvernement ne semble pas mettre cette expérience à profit.
Nous demandons la suspension de la LPR et la tenue d’états généraux de la recherche en vraie concertation et impliquant très largement celles et ceux qui font la recherche publique d’aujourd’hui dans les laboratoires et les établissements. Nous demandons que, à l’instar de la convention citoyenne pour le climat, les conclusions de ces états généraux soient réellement prises en compte par les pouvoirs publics.
Les membres du Laboratoire PALEVOPRIM